Quelle place pour les alternatives végétales à la pellicule photographique argentique ?

Une enquête sur l’émergence d’une controverse sociotechnique dans le champ de l’art contemporain.

page en construction, travaux à venir !

Recherche doctorale - 2025

Ce projet artistique mêle un travail de recherches plastiques et théoriques dans le cadre d’un parcours doctoral en Art et Sciences de l’Art.

Il s’agit d’une enquête sur l’émergence d’une controverse sociotechnique contemporaine sur la place des produits d’origine animale et sur les acteurs qui se saisissent de ce sujet, abordant le développement historique de la photographie argentique en tant que procédé et processus sociotechniques au fil de ce travail anthropologique, et mettant par ailleurs la lumière sur l’expérimentation de nouveaux matériaux dans le monde de la photographie amateur et des arts plus généralement. J’y interroge les récits dominants, la matérialité des supports, les temporalités lentes, ainsi que la fabrique des images elle-même. Mon travail tente de tisser et de re-présenter les relations entre image, écologies et territoires de lutte. L’écriture y joue un rôle central, au même titre que les expérimentations photographiques, dans une recherche à la fois critique et incarnée. Ce projet, à la croisée de l’image, du végétal, du militantisme et de l’écriture, questionne aussi la place de l’artiste-chercheur·se dans les luttes contemporaines.

Ci-dessous un aperçu des concepts explorés.

Changer de paradigme : de la pensée incarnée

il s’agit d’un travail d’enquête, où différents modes de représentations se croisent, entre photographie et anthropologie sous un prisme antispéciste/végane ; un aller-retour entre expérimentation plastique, réflexion théorique et analyse des étapes de fabrication de modèles dominants. Tout comme la photographie en tant que médium, la pellicule argentique en tant que support est l’empreinte visuelle de ce monde, dans son fond comme dans sa forme. Elle porte en elle une dimension sociale.

Ma position de narratrice se retrouve aussi dans la détermination de l’archive, en proposant un corpus défini d’acteur·ices de ces recherches, de données collectées. De nouveaux récits émergent, un prisme par lequel effectuer une relecture de l’histoire. Je pose un regard sur cet état des lieux, tout en en faisant pleinement partie : là prend forme mon engagement, et la forme d’enquête documentaire comme projet social, me permettant d’aborder me permet d’aborder les différentes strates que peuvent recouvrir les sujets questionnés, les territoirs+ dans ces espaces à penser. Ainsi la pensée se construit dans cette multidisciplinarité, les aller-retours entre écriture et pratique plastique.

La fabrique de la photographie dans sa matérialité participe pleinement à la narration, et accompagne la notion de rencontre : il me semble important de m’inclure en tant que photographe avec un point de vue situé pour habiter un territoire donné et prendre place au sein de ses acteur.ices, et ne pas être dans la démarche de photographier un objet d’étude de manière distancée. La notion de faire corps entre en jeu dans le choix de mes sujets photographié : rendre vivant. Il s’agit avant tout des corps engagés qui (ré)incarnent des combats, passer de la théorie à la pratique. C’est ce en quoi la (re)corporéisation est pour moi un outil de lutte : faire corps c’est penser par l’action. Le travail en laboratoire photographique permet cette corporéisation, cette incarnation à travers mon médium lui-même : tout comme le corps photographié s’engage physiquement, son discours est matière dès le développement en laboratoire ; matière physique et pensée-matière.

Une enquête à la croisée des territoires

Ma recherche se tisse dans une attention aux territoires, à leurs textures sociales, environnementales, politiques. En ce sens, la lutte contre la construction de l’autoroute A69 – projet d’infrastructure reliant Castres à Toulouse, un territoire où j’ai grandi – incarne une cristallisation des dynamiques que j’explore dans mon processus de recherche pour une alternative végétale à la gélatine animale dans la production de pellicule photographique argentique : celles de la destruction du vivant au nom du progrès économique. Ce projet autoroutier, dénoncé pour son absurdité écologique, économique et sociale, est symptomatique de logiques extractivistes et productivistes issues du capitalisme industriel. Il s’oppose frontalement à une pensée des communs, du soin, du lien.

Des hectares de forêts, de zones humides, de terres agricoles sont menacés — au profit d’un couloir destiné à « fluidifier le trafic », au prix de l’asphalte et de la disparition du vivant. Ce territoire devient un espace de résistance, de reterritorialisation militante, où s’inventent d’autres manières d’habiter. Territoire aujourd’hui en suspens depuis quelques mois, j’ai choisi d’en faire mon terrain de recherche : un espace où la pensée s’incarne, où l’expérimentation artistique prend corps dans la matière végétale. Face à l’autoroute, une multitude de présences humaines et non-humaines résistent, refusant l’effacement. Le site devient ainsi un laboratoire de pratiques artistiques situées, mêlant gestes politiques, écologiques, photographiques.

L’agentivité du matériau-support

Le matériau et ses caractéristiques propres, comme sa consistance ou encore son opacité, ont pour habitude d’être substitués au profit de l’image. Le matériau s’évanouit lui-même, son unique propriété devenant celle de faire reflet. Pourtant, le support d’une image n’est jamais neutre. Les photographies ne sont pas seulement des images, des interprétations purement idéologiques du réel : ce sont bel et bien des traces, des empreintes au sens littéral du terme. L’émulsion de la pellicule photographique, est touchée dans sa matérialité, l’image prend concrètement forme grâce aux rayons lumineux réfléchis par les objets photographiés. L’image photographique est un vestige matériel de son modèle.

Dès lors, ne pas se pencher sur le matériau d’une photographie en tant qu’objet-image revient à ne pas s’intéresser à la matérialité de la photographie, et donc au faire de l’image. Non seulement une autre compréhension des images est possible si l’on s’éloigne de l’image-miroir, mais celle-ci a une influence directe sur la réalité, constituée de nos conceptions et actions sur le monde. La matière joue sur notre manière de regarder les images.

Là est tout l’enjeu des expérimentations plastiques : celles-ci deviennent à leur tour un laboratoire esthétique par lequel je réfléchis et et élabore des solutions formelles à des problèmes figuratifs. Le rendu visuel de l’image photographique est d’abord un amas de grains dans une émulsion.

l’un des sens accordé à l’action de photographier (et donc de représenter) est de faire apparaître au grand jour ce qui était déjà bien présent, exhiber les choses, faire ressortir ce qui était déjà là à l’état latent. La photographie montre ce qu’il y a à voir, ce qu’il y a d’intéressant. Ainsi, tout comme le réel détermine l’image photographique, l’impact de la photographie sur le réel la définit aussi elle-même.

Re-présenter le vivant

Dans cette nature attaquée, sur cette terre retournée, ma pratique photographique se matérialise au contact des éléments — feuilles, racines, fleurs, lichens. Le végétal ici n’est pas seulement motif, mais agent actif de l’image. Ce terrain de lutte devient un laboratoire d’expérimentation photographique : comment produire des images avec et à partir du végétal ? Comment sortir du paradigme photographique de la capture, de la stabilité, de la maîtrise ? Je m’intéresse donc aux procédés alternatifs comme l’anthotype, entre autres : une technique ancienne, à base de végétaux, produisant des images éphémères, lentes, fragiles. Loin d’un défaut, cette instabilité devient une résistance face aux normes de performance et de durabilité.

Sur ce terrain de recherche, la photographie devient ici rituel de présence, attention portée au milieu. Grâce aux matériaux collectés, mon geste s’inscrit dans un rapport direct au vivant, en tension avec l’imaginaire dominant de la photographie comme technologie de contrôle et de shoot instantané.

Une approche matériaulogique

Il s’agit de faire place à d’autres récits possibles à partir des matériaux, et donc une autre histoire des images, ce qui amènerait à une nouvelle ontologie qui dépasserait l’antagonisme forme/informe (c’est ce que Sophie Lécole Solnychkine appelle une pensée matériaulogique des images). La fabrication de l’image avec ses matériaux fait partie de l’image elle-même. La prise en compte des qualités sensibles de la matière dans son pouvoir figural et figuratif amène à penser les images autrement en s’intéressant directement au matériau qui les constitue avant la tradition de pensée qui consiste à porter un regard hérité de l’histoire de l’art actuelle et qui imprègne notre lecture des images. Cela nécessite de ne plus considérer une image comme achevée mais la situe dans une continuité de temps arythmiques : l’état de monstration n’est qu’un état parmi d’autres déterminé par le photographe, qui comprend tout aussi bien le processus de production que les états d’altération voire les rénovations futures.

L’analyse matériaulogique implique de plonger dans l’épaisseur des images, de la matière vue. Elle implique de remettre en question les rapports de surface qu’on entretient avec les images ; et par extension avec la réalité. L’idée d’une photographie qui ne serait que reflet objectif est vaine : elle ne peut s’extraire de sa réalité matériaulogique.

Vers une athropologie des images

Par le biais de cette théorie matériaulogique, la pellicule argentique n’est plus un “double analogique”, une copie des formes du monde, mais bien une puissance de façonnage du monde. Les procédés techniques impactent le réel.

Qu’est-ce que voudrait dire de prendre une photographie végane ? Qu’impliquerait-elle esthétiquement et conceptuellement ? Comment s’inventent les images ? Que nous montrent-elles ? Que disent-elles de notre condition face au vivant ? Si l’on changeait du paradigme de l’image-reflet, quelles seraient nos représentations du monde ?

Le monde peut être repensé à partir des matériaux. Il s’agit de reconsidérer l’histoire à partir du matériau et de ses propriétés expressives. Penser dans et par l’image ; appréhender et penser les choses du monde autrement pour envisager ce qu’il est possible de penser à partir d’elles, que ce soit l’utilisation de substances animales, les enjeux climatiques, ou notre rapport au vivant plus globalement.

L’activité photographique dans sa globalité (de la production de pellicule jusqu’à l’image révélée, en passant par la prise de vue) est une forme de participation, bien loin d’une observation du monde passive. Photographier un événement le fait basculer dans une forme de permanence : la photographie encourage ce qui se produit à continuer de se produire. Mais le photographe n’est pas seulement celui qui fixe le passé : c’est aussi celui qui l’invente.