ADVENTICES

Adventice \ad.vɑ̃.tis\ masculin et féminin (1767) du latin adventicius (« qui s’ajoute, supplémentaire, venant de l’étranger »). Adventif apparaît en 1751 dans le langage du droit. (XIIe siècle) aventis, adventis.

  • Didactique | Qui n’est pas naturellement dans une chose, qui y survient de dehors. Qui s’ajoute accessoirement, incidemment. Un récit surchargé de remarques adventices. Des notes adventices.

  • Botanique, Phytosociologie | Qui se développe en dehors de son aire de répartition naturelle.

  • Spécialement, Agronomie | Qualifie les plantes indésirables qui croissent spontanément dans une culture et dont la présence est plus ou moins nocive à celle-ci. (La nocivité des plantes adventices s’explique par des effets de compétition avec la plante cultivée.)

  • Botanique | (Substantif de l’adjectif) Espèce végétale étrangère à la flore indigène d’un territoire dans lequel elle est accidentellement introduite et peut s’installer.

  • Biologie | Tunique externe des vaisseaux sanguins.

  • Philos et sciences | Qui viennent à l’esprit de façon passive sous l’influence des impressions externes.

Synonymes : acquis - accessoire - mauvaise herbe (Agriculture) - néophyte (Botanique) - herbe folle (Botanique) - contingent - occasionnel - secondaire - supplémentaire.

Apparentés étymologiques : advenir.

Lieu-dit Les Cadets.

Ceux qui viennent après les aînés. C’est le nom donné au territoire dans lequel j’ai grandi. Je n’ai jamais vraiment su quelle était son entrée, ni sa sortie. Au village, on connaît son nom, on a une idée de comment s’y rendre, on y passe, mais aucun panneau n’indique sa frontière. Je crois que c’est le nom donné à ces deux maisons en pierres — celle de ma mère, avec qui nous vivions mon frère et moi, et celle d’un couple de voisin·e·s — et l’environnement vague qui les entoure ; le milieu dans lequel elles existent. La proximité de nos maisons nous a toujours fait sourire, quant à la distance (courte, mais présente) que suggère l’attribut voisin·e. Nous avions la même adresse, la même position.

Ces deux maisons sont situées au coeur de la forêt, sur les hauteurs de la Montagne Noire, dans le Sud de la France. Elles sont séparées des premières maisons des hameaux du village par un chemin de terre de trois kilomètres qui s’extrait de la route principale pour grimper dans la montagne. Elles se trouvent à six kilomètres du centre du village. La première ville, elle, se trouve à une quinzaine de kilomètres. — Je me souviens de Carole, la factrice, qui attendait d’accumuler assez de courriers pour monter nous les déposer.

L’abondance d’arbres résineux de la forêt donne une couleur sombre à la montagne lorsqu’on regarde son versant Nord, depuis la ville. Son nom en découle : La Montagne Noire — terme qui m’évoque les Black Mountains, plusieurs massifs forestiers dans le monde, tous décrits comme des réserves naturelles, des écozones, des zones tourbeuses, ou encore des bush (terme utilisé en géographie rurale pour désigner des arrière-pays peu habités de savane arbustive ou de forêts, bois et broussailles). C’est aussi le nom d’une université expérimentale avant-gardiste en Caroline du Nord, fondée autour de la pensée pragmatique de John Dewey. Cette pédagogie prône l’éducation de tou·te·s par chacun, la gestion collective et démocratique, et repose sur l’expérience de communauté en accordant de l’importance aux pratiques artistiques, aux travaux manuels (desquels les travaux domestiques ou agricoles font aussi partie) et à l’interdisciplinarité.

Au XVIIème siècle, les villageois racontent la présence du Louglier (lop singlar) qui semble habiter la forêt de la Montagne Noire. L’illustrateur Jean-Claude Pertuzé s’est penché sur ces récits : « C’est le cousin ignoré de la Bête du Gévaudan. Si on y regarde de près, ses caractéristiques sont assez semblables, à cette différence que le Louglier est unanimement décrit comme une créature hybride, un mélange de loup et de sanglier. Les naturalistes peuvent toujours argumenter sur l’impossibilité de la chose, on ne leur demande pas leur avis. [...] Il existe une petite brochure, imprimée en 1774 par un prêtre, M. l’abbé Delprat, intitulée Du Loup-Glier dans les Diocèses de Saint-Pons & de Castres (la zone où sévissait le Louglier correspond au nord du diocèse de Saint-Pons de Thomières, qu’entourait le diocèse de Castres), avec une vignette gravée sur bois qui semble être la seule représentation du Louglier connue. »

Nos ami·e·s, vivant en ville, peinaient à venir chez nous. Tous se perdaient dans la forêt. Nous avons un jour décidé de fabriquer un panneau en bois que nous avons placé sur ce chemin pour indiquer la direction à prendre, un indice afin de les aider à nous situer ; le lieu-dit n’ayant jamais été indiqué en tant que tel. L’unique panneau sur le chemin qui mène à nos deux maisons est celui indiquant l’entrée dans la Forêt Domaniale de la Montagne Noire. — La description de ce territoire comme espace appartenant à l’Etat et encadré par un Code forestier m’apparaît comme lacunaire. Sa symbolique est partielle.

Nos maisons ne sont pas reliées à l’eau potable. J’allais, avec ma mère, chercher l’eau que nous buvions à une source proche des hameaux du village, où une fontaine a été aménagée. Nous y remplissions des réserves de bouteilles pour quelques jours. Un panneau stipulant ‘‘eau non contrôlée’’ a été installé du jour au lendemain. Puis, la source a été fermée par la municipalité ; nous avons dû acheter l’eau en bouteilles. Un raccordement à l’un des ruisseaux qui prennent leur source dans la forêt a été installé par les précédents habitants de nos maisons. Un système de filtre permet de rendre cette eau plus claire, sans pour autant la rendre potable. Si l’eau ne coule plus, nous savons que des amas de boue et de feuilles mortes bouchent la source, à cause de fortes intempéries. Il faut alors aller la déboucher. Ce raccordement physique fait partie de notre quotidien — nous devons garder cette coopération avec la source.

L’été, ma mère a pour habitude d’aller récupérer du bois mort dans notre jardin, qui servira à nous chauffer l’hiver, près de la cheminée. Ce jardin est un terrain, une étendue d’environ trois hectares vaguement déterminée lors de l’achat de la maison. En réalité, le grillage qui le délimite n’en fait pas le tour. Ce terrain est très peu aménagé, hormis peut-être l’herbe tondue pour pouvoir y circuler. Il arrivait toujours un moment, lorsque nous nous enfoncions vers le fond de ce jardin, où nous ne savions plus si nous en étions sorti·e·s — à quel moment nous y étions entrés. Indécis·e, on s’imagine la frontière — “au-dessus du chemin, après le four à pain, juste avant le virage” nous avait-on dit. En effet, plusieurs abris en pierres, usés par le temps ou parfois même en ruines, sont dispersés autour des deux maisons. Anciens poulaillers pour beaucoup, ils auraient servi de lieu-sûr pour des résistants ou réfugiés en temps de guerre. Les histoires qu’on nous raconte aiment nous décrire ce lieu isolé comme cachette idéale. Personne ne serait retrouvé·e ici. Personne n’y viendrait chercher quelqu’un non plus.

Étant les seuls habitants humains dans cette partie de la forêt, les seules personnes croisées ne sont par conséquent que de passage. Les randonneur·se·s viennent se ressourcer, rechercher l’air pur, loin des tracas de la vie quotidienne, pour revenir aux choses simples et essentielles de la vie.

— C’est beau ! Vous êtes tranquilles ici !

Ces prétextes à discussions teintés de lieux-communs ne faisaient pas sens. Je cherche encore la pureté à laquelle iels semblaient faire référence et par quoi elle avait été entachée, la source de laquelle iels semblaient s’être détaché·e·s, et de quel quotidien si universel iels parlaient en m’incluant... Je ne reconnaissais pas ce spectacle. Iels viennent jusqu’ici. Alors que moi, j’ai toujours été là.

Notre présence en devenait parfois gênante, puisque dans l’imaginaire de ces promeneur·se·s, cet endroit n’est pas habité. Je dirais même qu’iels s’attendaient à rencontrer la sauvagerie du lieu, mais l’étonnement quant à notre présence révélait celui du mode de vie qu’elle impliquait, ou peut-être l’image qu’iels s’en faisaient — la vie dans cette maison n’avait rien d’un choix déterminé ou militant d’une vie en autosuffisance, elle impliquait juste d’avoir un pied en dehors, d’être à la frontière. Mon milieu était tronqué. J’avais un pied dans leur paysage — dans le reflet de leur miroir noir.

Des rallyes automobiles sont organisés annuellement sur les chemins sinueux de la montagne. Isolé, sans circulation ni voisinage, voilà les caractéristiques d’un lieu idéal pour les circuits de courses de voitures et le bruit de leurs moteurs, sans risque de tapage. — À quels circulations et (non-)habitants se référaient-iels ? — sangliers, hêtres, spores, abeilles, fougères, moi et d’autres encore étions mis hors champs. Après tout, le chemin qui passe devant nos maisons est une propriété communale. Des ouvriers et ingénieurs ont été surpris lors du creusement de tranchées profondes dans la forêt pour relier un nouveau parc éolien avec des câbles à haute tension. La circulation en voiture a été suspendue.

Les moments de l’année instaurés comme périodes de chasse sont particulièrement difficiles à vivre. Des coups de fusils suivis de hurlements de mort résonnent dans la montagne. C’est le signe du retour des troupeaux de chasseurs. Ils sont habitués à aller et venir devant nos maisons pour attraper les animaux que nous aimons apercevoir furtivement le soir — comme ce renard à qui je rendais visite quotidiennement pendant un temps. Lorsque le dit gibier en fuite s’approche de la frontière fictive de notre jardin, nous invoquons le pouvoir de la propriété privée comme dernier recours, afin de faire fuir le chasseur. Ces derniers ont pour coutume de se retrouver à heure fixe non loin de là, pour contempler leurs gains. Ce rassemblement de véhicules barre le chemin de terre — nous pouvions apercevoir la trentaine de cadavres derrière les remorques contenant leurs outils de chasse (qui n’étaient autres que des chiens en cages), à l’entrée de la cabane qu’ils avaient construite à cet endroit. Là, ils fêtent leurs victoires, en profitent pour boire du vin, et manger pâtés et autres mets faits maison à base d’animaux de la forêt. Certains d’entre eux osaient tenter de nous offrir des demi-chevreuils fraîchement abattus, baignant dans leur bassine de sang, pour s’excuser de la gêne occasionnée. Puis ils redescendent enfin, chez eux, fiers de montrer leur butin. Le trésor dérobé au lieu de richesse où l’on se sert : un territoire perçu comme brut à exploiter.

Il arrive que d’énormes machines à roues — je n’ai jamais su le nom qu’on leur donnait, celui qui permettrait de connaître leur utilité — viennent raser des centaines de mètres carrés de pins à destination des scieries. Les arbres sont replantés par la suite, selon un impeccable quadrillage. Plus jeune, j’ai souvent eu la sensation qu’on venait chez moi se servir, et qu’on repartait en nous laissant dans un paysage effondré pour revenir des mois plus tard, sans se soucier de l’impact de cet enlèvement, et de la manière dont nous allions nous relever ou interpréter ce signe — les arbres, nous, et tous les autres. La forêt me semblait d’ailleurs par moments beaucoup plus maîtrisée que mon jardin dans sa forme. On m’expliquait que ces arbres étaient là pour ça, que je vivais à côté d’une zone d’exploitation. J’avais confondu cette zone avec un espace ouvert.

J’aimais les nuits chaudes estivales. Nous pouvions entendre des musiques résonner dans la montagne — où les pluies d’étoiles filantes d’Août étaient visibles, loin de la lumière de la ville. C’était l’écho de teufs, les rave parties qui se déroulaient dans la forêt — des rassemblements sauvages. Les répressions autour de ces rassemblements les amenaient certainement à trouver de nouveaux lieux isolés, où leur présence ne gênerait pas ceux/celles qui les entendraient. La plupart des villes accusaient les personnes qui participaient à ces évènements d’atteinte à l’environnement. — Je n’ai jamais vu de traces de leur passage dans la forêt. Plusieurs d’entre eux participeront à l’opposition au barrage de Sivens sur la Z.A.D. du Testet. La forêt devenait un instant une zone de non-droit — de nouveaux droits — dans la chaleur de ces ellipses nocturnes, où je pouvais entendre leurs danses clandestines. Cette image sonore était jouissive.

Certains hivers pouvaient être plus rudes que d’autres. Sous d’épaisses couvertures de neige sur un sol verglacé, il était quasiment impossible de rejoindre la ville. Je me souviens de ces quelques jours où le temps était suspendu, dans l’attente que les chasse-neige viennent dégager le chemin de terre, comme enfermé·e·s hors de la ville ; retenus un instant.

Le chemin a fini par être goudronné.

Travail photographique et d’écriture tirés de mon Mémoire de fin d’études Adventices dans le reflet du miroir : vers une recorporéisation de récits écoféministes (2020)

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